Xxème siècle L'Oratoire au siècle des guerres mondiales

Xxème siècle L'Oratoire au siècle des guerres mondiales

1914-1918 : l’Oratoire dans la Grande Guerre

 

Cette guerre a été une tragédie pour de nombreuses familles. L’Oratoire garde la mémoire des nombreux paroissiens qui ont donné leur vie pour le service des autres à cette occasion.

 

Le premier mémorial est un panneau qui fait toute la surface d’une chapelle latérale, il date de 1919 et garde la mémoire des enfants de l’Oratoire morts pour la France au cours de la Première Guerre mondiale. Cette toile marouflée a été exécutée par Gustave-Louis Jaulmes en collaboration avec l’architecte Charles Letrosne. L’arcature de la chapelle a été fermée, ménageant une pièce fermée qui servait à l’époque de salle funéraire.

 

La longue liste déroulée sur cet immense panneau peint en lettres d’or montre que de nombreuses familles ont été frappées. Encadrés de drapeaux, de palmes, de guirlandes et de couronnes de laurier la longue liste donne les noms des 142 membres de l’Eglise morts sous les drapeaux pendant la première guerre mondiale. Berger-Levrault, Dollfus, Hollard, Koechlin, Labrousse, Mettetal, Monod, Schlumberger, Silhol, Wagner Cette énumération reflète les origines alsaciennes, suisses, cévenoles ou normandes de la géographie protestante et l’importance des pertes humaines au cours cette guerre.

 

Le deuxième souvenir est une plaque en marbre noir remerciant les soldats américains de la Première Guerre mondiale, cette plaque date de 1927 et est située face au monument aux morts de 14-18. Cette plaque a été inaugurée le 18 septembre 1927 lors d’une cérémonie franco-américaine en présence de membres de l’American Legion. Il est inscrit « A la gloire de Dieu et en souvenir
reconnaissant des officiers et soldats de l’armée expéditionnaire américaine qui sont morts pour la cause des alliés sur le sol de France ».

 

1940-1945 : la Résistance de l’Oratoire dans la Seconde Guerre mondiale

 

L’action du pasteur André-Numa Bertrand

 

Dès le mois de mai 1942, lorsque les Juifs sont contraints par le pouvoir allemand à porter l’étoile jaune, le pasteur de l’Oratoire André-Numa Bertrand rédige une lettre à l’adresse du maréchal Pétain ; il la confie au pasteur Boegner qui, le 27 juin, la lit au chef de l’État avant de la lui remettre. C’est la protestation officielle d’une Église, la seule à ma connaissance contre le port de l’étoile jaune. Le dimanche 7 juin, premier jour où le port de l’étoile devient obligatoire, Bertrand prêche sur la première Épître de Pierre : « Si quelqu’un parle, que ce soit comme il convient à la Parole de Dieu ». Pour le pasteur, la vie intérieure du chrétien doit le garder libre à l’égard des pressions du monde extérieur. Libre, mais pas indifférent : le politique ne peut être prétendu imperméable au spirituel.

 

Cette prédication a un effet immédiat sur l’auditoire : à la sortie du culte, la belle-mère du pasteur Jean Médard croise sous les arcades de la rue de Rivoli un « ménage à l’air modeste et distingué qui portait l’étoile jaune. Alors je me suis avancée, leur ai tendu la main en leur disant : « Je suis chrétienne, je sors de l’Oratoire, permettez-moi de vous témoigner ma sympathie. Nous sommes tous des enfants de Dieu ». Le monsieur a porté ma main à ses lèvres, il était tout ému et moi j’avais les larmes aux yeux ». Le même jour, des étudiants, dont plusieurs protestants, comme Marie Médard, fille du pasteur de Rouen, ou Henri Plard, ancien catéchumène du même pasteur, arborent dans Paris de fausses étoiles jaunes.

 

André-Numa Bertrand poursuit son inlassable activité au service du protestantisme français en zone occupée, de juin 40 à mars 43. Parmi d’autres actes, il se dresse ouvertement contre le serment de fidélité au chef de l’État exigé des fonctionnaires, et contre les réquisitions du STO, intervient énergiquement pour protester contre l’arrestation de milliers de juifs au Vel’ d’hiv, exprime sa solidarité au grand Rabbin de Paris.

 

Mais surtout, il écrit en 1942 trois lettres, plus douloureuses que révoltées, le 16 février au Commissaire Général aux affaires juives, le 27 juin au Maréchal Pétain (celui-ci se déclare ému, mais ne pouvait rien faire), demandant à M. Boegner de la remettre en mains propres, et le 3 août à M. de Brinon, chef de la Délégation du Gouvernement Français à Paris, qui ne répond pas. Il termine son rapport en regrettant l’attitude de la hiérarchie catholique qui refusa d’entreprendre une démarche commune auprès des autorités d’occupation : « J’ai toujours reçu auprès de ces prélats une parfaite courtoisie et bienveillance, mais aussi un refus très net de s’opposer en quoi que ce soit aux interventions des maîtres de l’heure. »

 

A partir d’octobre 1942 une autre forme d’intervention prends corps. Celle-là exige silence et clandestinité, c’est l’aide physique aux juifs, adultes et enfants, qu’il s’agit de cacher, et tout d’abord de faire échapper des souricières urbaines, dont celle de Paris. Dans une Lettre pastorale qui remplace la Feuille rose, le 30 septembre 1942, les trois pasteurs de l’Oratoire, sans dire un mot des juifs, appellent chaque chrétien à porter dans son coeur la souffrance du monde et à ne pas la laisser effacer en lui-même par la réalité ou l’appréhension de ses propres souffrances : « Il ne faut pas dire : « À chacun suffit sa peine ! J’ai bien assez à faire à porter la mienne ;pourquoi vouloir m’écraser sous celle du monde ? Je ne suis pas de force ; j’aime mieux l’oublier ».

 

Et ce sera des appels, du haut de la chaire de l’Oratoire, au moment des annonces diverses concernant les activités de la paroisses, que souvent était lancé l’appel en direction de familles qui pourraient emmener quelques enfants pauvres ayant besoin de prendre l’air. Les familles comprenaient qu’un ou plusieurs enfants juifs avaient besoin de trouver refuge pour quelques jours ou quelques semaines dans une famille parmi d’autres enfants le temps que l’on trouve le moyen de les évacuer. Cet appel était lancé alors que dans les rangs des fidèles se trouvaient des allemands parmi les plus hauts placés, venant de l’hôtel Meurice, un peu plus bas dans la rue de Rivoli qui avait été réquisitionné par les autorités allemandes pour la Kommandantur du Grand Paris !

 

Le sauvetage de 1943*

 

Un autre pasteur de l’Oratoire, Paul Vergara, directeur du centre social La Clairière, se préoccupe dès 1941 de mettre à l’abri les enfants juifs dont les familles sont nombreuses dans ce quartier. Au siège de la Clairière, une véritable organisation de sauvetage dirigée par Suzanne Spaak s’élabore. Le temple de l’Oratoire du Louvre ne manque pas d’apporter son secours en appelant à la rescousse des paroissiens « hébergeants ».

 

Au début de février 1943, Suzanne Spaak alerte le pasteur Vergara : soixante-trois enfants des foyers de la rue Guy-Patin et de la rue Lamarck sont à évacuer de toute urgence. Les deux résistants conviennent d’un plan. Extraits de leur pensionnat pour une promenade, les enfants resteront à la Clairière le soir (on prétextera, pour le voisinage, l’accueil de réfugiés victimes des bombardements). Ils seront alors transférés vers des lieux d’hébergement clandestins pour y rester cachés jusqu’à la fin de la guerre.

 

L’opération est prévue pour le 16 février. Le 12, lors de son prêche dominical, le pasteur demande des volontaires pour promener soixante-trois enfants le jeudi 16 dans l’après-midi. Vingt-cinq femmes se désignent. Quinze autres se font connaître dans la semaine, pour la plupart juives. Le jour dit, chaque accompagnateur reçoit la consigne formelle de ramener les enfants au siège de la Clairière. Au soir du jeudi 16, les soixante-trois enfants juifs, âgés de 3 à 8 ans, passent la nuit dans un campement improvisé dans le grand hall du patronage. Des colis de la Croix-Rouge ont pourvu au ravitaillement. Le lendemain matin, l’équipe de Paul Vergara s’active à établir les faux papiers. Par petits groupes, l’évacuation commence. Des Éclaireuses de France accompagnent les enfants jusqu’à leur nouveau foyer, qui en banlieue, qui en province ; beaucoup sont envoyés en Normandie.

 

Pendant ce temps, on fait disparaître à La Clairière toute trace des » réfugiés « . Deux mois après cette opération sensationnelle, le pasteur Vergara est à nouveau sollicité, pour aider la Résistance cette fois-ci, dont les combattants sont toujours à la recherche de planques, de dépôts et autres boîtes aux lettres. Hugues Limonti, paroissien de la rue Greneta, appartient au secrétariat de la Délégation générale. Le Conseil national de la résistance, en passe de devenir officiel, a besoin d’un lieu sûr à Paris pour ses réunions et son courrier.

 

Paul Vergara donne bien évidemment son accord : La Clairière se met à l’entière disposition de Jean Moulin et de ses services. En échange, faux papiers et ravitaillement seront abondamment fournis pour l’oeuvre exemplaire du pasteur. Mais trois mois plus tard, Hugues Limonti est arrêté. Le 24 juillet, la Gestapo fait une descente rue Greneta. Marcelle Guillemot, assistante sociale des pourchassés, se pensant perdue, veut se livrer… et se ravise soudain. Enjambant une fenêtre, elle parvient jusqu’au hall de l’immeuble voisin, au 58, et s’enfuit. Elle plonge alors dans la clandestinité complète. Le pasteur Vergara, averti à temps, échappe lui aussi à l’arrestation.

 

*Anne Thoraval, Paris, les lieux de la Résistance, éditions Parigramme, 2007

 

 

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