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Usage et valeur des restes
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Première approche de la notion de reste
Le mot a des sens très différents en fonction du contexte dans lequel on l’utilise. Mais il frappe aussi, et en même temps, par la multiplicité des termes que l’on trouve, en français, à sa disposition pour dire sensiblement la même chose ; à moins que ces termes ne décrivent ou ne laissent paraître une attitude ou n’enferment une sorte de réflexion à l’égard de ce qui est désigné par tel ou tel mot : délaisser, jeter, abandonner, fût-ce en vue de recycler ou de restaurer. Car, tout à fait contradictoirement, garder fait partie de ses gestes : le reste n’est pas seulement ce qu’on jette ou ce qu’on s’apprête à consommer à très court terme, mais il est aussi ce qu’on garde, quand bien même on ne saurait pas trop quoi en faire.
Le mot semble d’abord être courant en cuisine ou dans les affaires culinaires. Le point est assez rare pour se repérer en quelque notion que ce soit : il faut partir, ici, de la cuisine pour saisir quelques éléments de la notion de reste(s). Manger les restes implique qu’il y ait eu un premier partage de la nourriture entre celle qui a déjà été consommée et celle qui a été laissée pour le soir ou pour le lendemain. Et là on peut parler des reliefs d’un repas – si l’on veut user d’un terme assez relevé – ou des rogatons – si l’on parle avec quelque mépris d’une nourriture qui a déjà servi, en insistant sur le fait qu’il s’agit d’une seconde présentation. « Ne pas faire de restes », « On ne va pas laisser cela » – surtout s’il s’agit d’une demi-bouteille d’un vin de qualité – sont des maximes qui ont un petit relent de morale : on ne se remettra pas à manger ce qui a été déjà en partie mangé en sous-entendant que ce qu’on mange doit avoir, pour être appétissant, un caractère de nouveauté. Voire les maximes d’une justification d’un penchant qu’on ne peut pas avouer directement : plutôt que d’avouer mon goût pour le vin ou ma gourmandise à l’égard des pâtisseries, je puis couvrir ce goût par le dévouement prétendu de finir la bouteille ou de ne pas laisser se perdre un gâteau entamé. On ne jette pas la viande si l’on songe à l’animal dont on a sacrifié la vie pour qu’elle soit sur la table. Morale et pseudo-morale s’entrecroisent dans la notion de reste.
On notera que c’est un terme que l’on utilise par métaphore pour toutes sortes d’autres domaines où il s’agit de reste. C’est le cas dans la Bible, comme on va le voir.
Constituent des restes les humains dont on ne s’occupe pas, les oubliés de la croissance économique ou sociale, les citoyens de « seconde zone », qui sont « à la portion congrue », qui peuvent d’ailleurs être plus nombreux que les autres, j’entends : que ceux qui ne s’oublient pas eux-mêmes. Les oubliés de la croissance intellectuelle peuvent être aussi appelés grossièrement des « demeurés » : ils sont restés à un niveau élémentaire qu’ils ne dépassent pas. Le jeu du singulier et du pluriel est intéressant à considérer. Dans le cas des restes quand ils sont des restes funéraires dont on s’occupe quand il s’agit de changer de tombeau, le pluriel est absolument de mise : on ne pourrait pas dire le reste de quelqu’un. Il s’agit, là encore de diminuer, de réduire en raison d’un partage (de tombeau, par exemple). S’il s’agissait de matières moins sacrées ou plus vulgaires, on parlerait de résidus, de résiduels, de scories, de bribes, de chutes (de tissus), de copeaux (de bois), de pelures (de fruits à écorce), des rognures, des rebuts, des détritus, ou de déchets ; chacun de ces termes paraissant enfermer des intentions particulières d’actes spécifiques. Certains restes se donnent comme étant à honorer ; un déchet, en revanche, est forcément à jeter.
Le reste est aussi, sur un autre registre, ce dont je décide, par une sorte de tri binaire et effectué en gros, de ne pas m’occuper du détail, ce dont je ne fais pas l’inventaire minutieux, quoique je laisse penser qu’il serait possible de le faire. C’est ainsi que, dans l’argument dit « du pari » chez Pascal, l’interlocuteur, qui a suivi la démonstration pascalienne et qui convient de sa qualité, demande à celui qui l’a conduite : « N’y a-t-il point moyen de voir le dessous du jeu ? », question à laquelle il lui est répondu de la façon la plus leste : « Oui, l’Écriture et le reste, etc. ». Plus loin, dans le texte, il y aura un autre « etc. » qui ponctuera les premiers termes d’une liste, laissée inachevée, de ce qu’il convient de faire pour tenter de croire : « en prenant de l’eau bénite,
en faisant dire des messes, etc. » (Sel. 680). On n’est pas loin, par le ton, d’une allusion au « saint Frusquin ».
Mais dans l’ordre des valeurs, aux antipodes du résidu, du détritus, du rebut, le reste peut être aussi traité avec moins de négligence comme un dernier quartier ou quarteron de résistance – liée à une cause perdue, peut-être, mais honorable. Le poème Ultima Verba de V. Hugo, écrit en exil contre Napoléon III, contient le fameux vers : « et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là ! ». Il n’est pas forcément déshonorant de faire partie des derniers à défendre telle ou telle cause.
Comment, en lisant Hugo, ne pas penser à l’âpre négociation qu’engage Abraham avec Dieu pour sauver les justes qui restent dans Sodome. Il demande à Dieu : « Vas-tu vraiment supprimer le juste avec le méchant ? Peut-être y a-t-il cinquante justes au milieu de la ville : vas-tu vraiment les supprimer ? » (Genèse 18, 20-21) Puis, pendant dix versets, Abraham négocie pour que s’il ne restait que dix justes dans la ville, ils ne soient pas supprimés. Finalement, les membres de la famille de Loth furent les seuls justes restants et, dès qu’ils partirent de la ville, elle fut ravagée tout entière sous le souffre et le feu d’une éruption volcanique.
Nous verrons aussi que, dans l’histoire du salut, ceux qui restent prennent une importance majeure dans le salut de tout un peuple. Ainsi, le « reste de Juda » est enjoint par le prophète Jérémie à demeurer dans son pays assiégé par Babylone, et à ne pas partir se réfugier en Égypte où il ne souffrirait ni de la faim ni de la peur, mais à rester sur ses terres pour garantir un retour possible du peuple tout entier. (Jr 42, 10-17).
La rémanence n’a rien d’un déchet ; elle est le fait d’un reste – d’un dernier reste – qui a subsisté. Plus modestement sans doute, si le glanage est un acte de sauver les restes que la moisson a laissés de côté et à l’abandon pour les plus misérables qui doivent se pencher pour ramasser les épis non fauchés ou non recueillis, l’artiste – en l’occurrence, Millet, dans Des glaneuses (1857) – a grandi cette humble action de ramasser le reste de richesse laissé par le plus fortuné, le propriétaire. Sans être aussi évidemment héroïques que les minoritaires qui restent pour livrer un combat qui risque bien d’être perdu, les glaneurs – plutôt les glaneuses – ont leur noblesse ; noblesse religieuse, certes, mais aussi noblesse politique, car le droit de glaner a été l’objet de conflits depuis le début du XIXe siècle et, en ce sens, la peinture de Millet est un acte politique.
À ce propos, nous verrons que le livre de Ruth s’appuie sur cette activité du glanage pour raconter comment le reste des orges récoltés par les ouvriers de Booz permet de donner un avenir à toute une lignée qui allait s’éteindre. Victor Hugo fait d’ailleurs des personnages de son poème « Booz endormi » les bénéficiaires d’un reste d’avenir inespéré.
Remarquons, avant de partir dans le détail de notre propos, que le nom reste ne joue pas la même fonction que le verbe reste, rester, qui implique davantage une résistance – un restant, au participe présent, une « restance » ? – que le nom lui-même qui est plus dévalorisant et qui enferme plus d’imperfection. Si je dis « il reste que … » pour conclure un propos ou si « je reste convaincu que … », en dépit de tous les arguments que l’on a pu développer devant moi, ou si « je reste sur mes positions » en dépit des efforts faits par un autre pour m’en déloger, ou encore si « une affaire me reste sur les bras », le rester dont il s’agit n’a rien d’aussi méprisable que le reste dont il s’agit de se débarrasser ou que le fait d’« être de reste » quand on est la cinquième roue du carrosse. Notons au passage que, s’il est des « rester » qui peuvent se substantiver en « reste », il en est d’autres qui ne le peuvent pas. Si je dis que l’état de quelqu’un « reste stationnaire » ou que « ses mouvements restent limités », il est absolument exclu que je parle du « reste de son état » ou du « reste de ses mouvements ». Même chose si, comme l’Épicurien de Hume, je dis que « de nous, sur terre, il ne restera pas le moindre souvenir » (Essais, p. 304). L’Épicurien tranche par la négative une question qui est, pour un grand nombre d’entre nous, un tourment : que restera-t-il de nous quand nous serons plus ? C’est la question de la gloire, de la renommée : survivrai-je à ma mort ? Qu’adviendra-t-il de moi quand je serai mort ? Ainsi les champs sémantiques de rester et de reste s’intersectent sans se recouvrir.
Peut-être cet étonnant croisement vient-il de l’étymologie hébraïque du mot reste. La racine She’ir dit à la fois ce qui reste au sens de ce qui n’est pas pris avec le tout, la chair en tant qu’elle est un prolongement de soi-même : la chair de la chair. Le reste est à la fois ce qui reste après une action donnée et ce qui reste de nous à la génération suivante, la parenté : dans le vocabulaire biblique, la Maison au sens famille du sang. Le lien qui se tisse entre une partie et son reste va bien au-delà de la question de savoir quelle valeur lui accorder : il demeure quel que soit le traitement qu’on lui réserve et ne peut jamais complètement disparaître.
En tout cas, cette contradiction dans les usages de la notion de reste et de rester est attirante. Le reste revêt donc des valeurs extrêmement inégales. Cette volatilité, cette volubilité de la notion est intéressante et elle nous paraît le signe presque infaillible de possibilité de renversements dans la notion ; quand bien même, globalement, être de reste ou faire des restes est plutôt péjoratif qu’avantageux et favorable.
Il faut, pour tenter de fixer quelque peu cette volatilité, partir de l’opération élémentaire de division en arithmétique pour comprendre la notion de reste.
La division est l’inverse de la multiplication. La multiplication est une opération qui ne peut pas faire de reste. Seule la division en fait. Le nombre que l’on appelle dividende, divisé par un autre nombre que l’on appelle diviseur ne donne pas de résultat (ou de quotient[1]) sans que, la plupart du temps, sauf si l’on s’est donné, d’entrée de jeu, des termes commensurables entre eux, ce résultat ne fasse un reste. Le reste est ce qui a échappé au partage, ce qui a échappé ou résisté à la division. Le reste, c’est l’indivis. Certes, on peut réduire ce reste, mais à condition de ne plus seulement se servir de nombres entiers mais d’utiliser des nombres fractionnaires ou des nombres décimaux. Le reste est le résidu d’une opération « qui ne tombe pas juste », quand on s’imagine à tort qu’il est ordinaire que les divisions « tombent juste », alors que c’est tout l’inverse qui est vrai : les chances pour que la division de deux nombres pris au hasard « tombe juste » sont considérablement moins grandes que celles qu’elle ne tombe pas juste.
Allant à dessein à l’encontre de cette règle mathématique, les récits de multiplication des pains dans le Nouveau Testament donnent une grande importance à la portée symbolique de ce qui reste à la fin de l’opération de multiplication interprétée comme un partage, donc comme une division. Dans l’Évangile de Matthieu, deux miracles de multiplication des pains mettent en scène des restes différents. Entre ces deux récits, on trouve, comme une charnière entre les deux, un récit qui parle lui-aussi de reste. Il s’agit alors des miettes dont parle une femme cananéenne (Mt 15, 25-28). L’échange entre Jésus et la Cananéenne est rude : elle vient se prosterner devant Jésus pour obtenir la guérison de sa fille, et Jésus dit à son propos : « Je n’ai été envoyé qu’aux moutons perdus de la maison d’Israël ». Ce qui revient à dire comme le prophète Jérémie en Jr 31-7 : « Je rassemblerai moi-même ce qui reste de mon troupeau ». Jésus s’adresse à elle en disant : « Ce n’est pas bien de prendre le pain des enfants pour le jeter aux chiens » : allusion très claire au culte des chiens sacrés qui avait cours chez les voisins d’Israël. La femme ne se laisse pas éconduire et répond : « C’est vrai, Seigneur, d’ailleurs les chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres ».
L’échange se termine sur la reconnaissance par Jésus de la foi de cette femme qui vient d’un peuple qui appartient à ce qu’Israël appelle « les nations », et la fille de la Cananéenne est guérie. En se campant comme légitime à bénéficier des restes de salut du peuple de Dieu, cette femme a converti Jésus à un ministère plus large que l’annonce messianique à son seul peuple.
Avant ce récit , un premier récit de multiplication des pains est raconté dans lequel, après avoir réussi à nourrir 5000 hommes, sans compter les femmes et les enfants, avec cinq pains et deux poissons, il reste 12 paniers de morceaux. Le partage se fait ainsi : « il rompit les pains et les donna aux disciples, et les disciples en donnèrent aux foules ». Rassasier autant de personnes semble difficile si l’on en reste à la réalité d’une division ; mais si l’on considère que les cinq pains sont les cinq rouleaux de la Torah et que les deux poissons symbolisent l’ère du Christ, il semble qu’on ait partagé une parole nourrissante plus que cinq pains et deux poissons. Les corbeilles de restes sont au nombre de douze, ce qui symbolise clairement les douze tribus d’Israël et donc, les moutons dont Jésus se sent responsable.
Après ce premier miracle, et après la rencontre avec la Cananéenne, Jésus passe du côté de la mer où se trouvent les villes païennes et refait un autre miracle qui le replace dans la même situation que Moïse dans le livre des Nombres au chapitre 11, quand le peuple dans le désert lui demande de la viande et qu’il ne peut les rassasier. Cette fois, la multiplication se fait avec sept pains et quelques poissons et les corbeilles de restes sont au nombre de sept. La symbolique de ces nombres n’est pas limpide, mais on peut y voir les sept localités païennes de l’époque de Jésus qu’il reste à évangéliser hors des villes de la Décapole. Jésus se laisse émouvoir par les nations : les restes, ici, montrent quels seront désormais les bénéficiaires du salut que Jésus pensait réservé à son peuple.
Certes l’opération de division d’arithmétique élémentaire est trop simple pour rendre compte des restes comme il vient d’être fait ou comme nous allons le faire avec la complexité voulue. Prenons garde toutefois à deux choses. La première est que la multiplication des pains est une division dissimulée (comment faire 5000 à partir de 12 et 4000 à partir de 7 sans faire de restes ?) ; le miracle a des limites : il paraît plus facile de multiplier des pains que de faire que, par simple multiplication à partir de 12 p ains on puisse exactement en trouver 5000, sans faire aucun reste, ou que, par simple multiplication par 7, on puisse en trouver exactement 4000. La seconde est que, lorsqu’on dit qu’une opération est l’inverse d’une autre, on ne veut pas dire qu’elle soit contradictoire avec cette autre. On peut s’en rendre compte à partir d’un autre exemple mathématique, plutôt de nature géométrique, cette fois. On peut multiplier autant qu’on veut la grandeur des côtés d’un carré, on ne les rendra pas commensurables avec la diagonale de ce carré. Si je compose les côtés d’un carré de n segments et que je veuille mesurer la diagonale de ce carré par un nombre entier de ces mêmes segments, je n’y parviendrai pas. Et si je veux faire l’opération inverse de partir de la diagonale mesurée exactement par un certain nombre entier de segments, je ne pourrai pas davantage mesurer les côtés de ce carré par des segments de même grandeur. Que je m’y prenne d’une façon ou d’une autre, il y aura toujours un reste.
On comprend, en généralisant un peu la remarque précédente, que les restes affectent toute mesure, quelle qu’elle soit. Aucune mesure n’est juste en physique ; toute mesure est approchée. Mesurer, c’est accepter l’approximation, quelque fine qu’elle soit ; seule l’approximation est vraie dans cette activité. Ce à quoi s’applique la mesure n’est pas l’objet même ; il faut, pour qu’il y ait mesure d’un objet ou d’un acte que cet objet ou cet acte soient mesurés par un autre objet ou par un autre acte. L’objet et la technique qui mesurent fabriquent, d’une certaine façon, ce qui est à mesurer qui n’existe jamais en soi. La coïncidence avec ce qui mesure est impossible.
À la différence des multiplications qui ne font jamais de reste, les divisions font des restes, plus ou moins réductibles ; irréductibles dans mon second exemple. Il y a un lien intime entre le reste et les partages. Partager, c’est – presque aussitôt – se trouver confronté à la notion de reste. Si j’augmente toujours, je ne fais pas de reste ; mais si je retranche d’une quantité donnée une autre quantité et que je recommence jusqu’à la fin cette opération, j’ai toutes les chances de faire un reste.
Il en va de même entre les puissances et les racines. Plus la puissance est élevée et plus la puissance est difficile à calculer, mais elle est exacte au bout du compte ; alors que les racines carrées, les racines cubiques, nièmes, font presque toutes des restes : non seulement l’extraction de racines, opération inverse des multiplications que sont les puissances, est difficile à faire pour l’esprit humain, mais encore elle ne tombe jamais juste et elle est inexacte au bout du compte.
Le reste peut aussi faire partie d’une stratégie dans le calcul des partis, lorsqu’un jeu est brusquement interrompu. Chacun prendra la part qu’il aurait eue, gagnant ou perdant, au coup suivant ; et le reste se trouve partagé de façon égale. Le calcul des partis dégage un reste à chaque étape du jeu.
Il est un proverbe qui révèle bien la portée morale et éthique du partage – un ami juif me l’a donné comme un proverbe juif, mais on le trouve aussi chez M. Scheler qui était catholique – : quiconque partage sa douleur avec quelqu’un divise sa douleur ; mais quiconque communique sa joie et la répand sur les autres augmente sa joie[2]. La souffrance partagée laisse toujours en place un reste de douleur ; alors que la joie qui emplit nos cœurs et nos esprits ne fait pas de restes. Ce qui est intéressant dans ce proverbe, c’est qu’il nous fait passer de la sphère de l’arithmétique ou de la géométrie élémentaires à ce que je n’appellerais pas des applications, car cela lui donnerait trop de « raideur principielle » si je puis dire, mais à d’autres secteurs et d’autres usages du partage dans d’autres secteurs.
Essayons d’inspecter cette extension dans divers domaines qui vont nous amener graduellement à une véritable inversion de la valeur du reste
Les règles de droit et d’éthique semblent jeter des filets sur les phénomènes sociaux qu’elles permettent de penser et qu’elles organisent ; et elles laissent, ce faisant, échapper de leurs mailles énormément d’aspects qui sont comme des restes de ce coup de filet. Seule la considération de cas semblables dans le passé peut nous donner l’idée de ce qu’on veut faire au présent et à l’avenir. Les éthiques sont poreuses, trouées, et elles laissent s’échapper énormément de situations qu’elles ne régissent pas. Je veux bien admettre que je dois travailler, c’est l’un de mes devoirs ; oui, mais jusqu’où ? Dans quel secteur ? Je dois être bienveillant ; oui, mais avec qui ? Dans quelle quantité ? Dans quelles limites ? Les éthiciens ont souvent distingué entre les devoirs parfaits et imparfaits, signifiant, pour ce qui est des « imparfaits », qu’ils laissaient – à la différence des prohibitions qui ne font place à aucune exception – une grande marge d’indécision, une sorte de reste à l’égard de la prétention de légiférer, grâce à eux, la plupart de nos actes.
Ce problème éthique constitue la base de l’enseignement de Jésus. À ceux qui voudraient laisser envahir l’ensemble des actes de la vie humaine avec l’observance de la loi de Moïse, Jésus oppose une considération des restes : ceux qui ne peuvent être, dans leur vie ou même dans leur corps, conformes à tous ces commandements et sont voués à la condamnation, et à l’exclusion sociale. Le lépreux, l’hémorragique, le boiteux, l’aveugle, mais aussi celui qui exerce un métier impur – le collecteur des taxes, par exemple -. Fidèle à l’image du salut rapporté par les prophètes, Jésus accueille ceux que les pharisiens et les scribes appellent les pécheurs. Il mange avec eux et leur annonce la bonne nouvelle du salut de Dieu sans restriction. On trouve cette idée de réhabilitation des bannis dans le livre du prophète Jérémie, quand il parle de la réinstallation du reste d’Israël sur sa terre après les catastrophes de l’exil à Babylone d’une partie de la population et de la diaspora d’une autre partie, réfugiée dans divers pays, dont l’Égypte. Au chapitre 31 de ce Livre on peut lire : « Seigneur ! Sauve ton peuple, le reste d’Israël. Je les ramène du pays du nord, je les rassemble des confins de la terre ; parmi eux sont l’aveugle et le boiteux, la femme enceinte, comme la femme en travail, c’est une grande assemblée qui revient ici, ils arrivent en pleurant, et je les conduis dans leurs supplications, je les mène vers des cours d’eau, par un chemin tout droit où ils ne pourront trébucher ».
Jésus réactive l’œuvre des prophètes qui rassemblent les exilés, mais cet exil est une exclusion de la loi, qui prévoit certes des rites de purification, sans jamais permettre la réintégration complète de ceux qui sont stigmatisés. En grec, le reste se dit « loippos » du verbe « leipo » abandonner, laisser pour compte. C’est bien le public auquel le Christ s’adresse de façon privilégiée.
Le Christ ne serait-il donc pas, par excellence, l’éthicien des devoirs imparfaits ?
Sur un autre registre – puisqu’il s’agit d’en inspecter quelques-uns -, dans une traduction d’une langue dans une autre, tout se passe comme si je divisais une langue par une autre ou un discours par un autre. Une traduction est un singulier filet, pour reprendre une image favorite de la Bible et particulièrement de l’Évangile de Matthieu. Le sens dont je veux m’emparer dans une langue par une autre langue, fuit de toutes parts et fait des restes. Le saxon que contiennent l’anglais et l’allemand ne permet pas de dire la même chose que le roman que contient le français en plus grande proportion. Et si je me disais par une fausse bonne idée, qu’il me suffit de partir de ces restes que fait le français à partir de l’anglais ou que fait l’anglais à partir du français, je ne parviendrais pas davantage à fixer ce que je m’étais promis de fixer. Une langue traduite s’enrichit et s’appauvrit dans le même acte de traduction. Elle ne s’enrichit qu’à condition d’accepter une hétérogénéité de sens. Elle s’appauvrit aussi dans ce changement, car il y a beaucoup de pertes. Une traduction est donc toujours une aliénation, une Entfremdung.
Prenons un exemple pour le montrer et qui nous servira pour une autre raison. Si j’ai à traduire l’expression française « ne que », je n’ai guère d’autre choix, en allemand, que de dire « nichts (anderes) als » (= rien d’autre que) ; et en anglais de dire « nothing but » (rien sinon, rien mais). Ne croyons pas que ces différences – auxquelles on est relativement contraint – soient légères et anodines. Si je lis dans une traduction, en français, de Feuerbach, que « Dieu n’est que le produit d’une infinitisation des qualités humaines », le ne que a quelque chose de méprisant non seulement à l’égard de Dieu mais aussi à l’égard de l’homme, du détenteur de qualités auxquelles on le réduit. Il « restifie » dans le sens le plus péjoratif qui soit. Le nothing but anglais n’est pas aussi méprisant si l’expression n’est pas suivie d’un terme qui l’est lui-même : il indique, de façon très ramassée, que, les diverses hypothèses sur la question ayant été scrutées, il reste que l’une d’elles s’impose qui est que Dieu est constitué par des qualités humaines amplifiées. Et l’allemand, celui de Feuerbach, ne dit rien d’autre que, comparé à divers êtres, Dieu n’apparaît pas être autre chose qu’un homme aux qualités hypertrophiées ; ce qui n’est pas forcément un dénigrement de l’homme auquel Dieu se trouve comparé. Ce qui va permettre à Feuerbach de dire que le véritable athéisme n’est pas la négation de la valeur des qualités divines, mais la négation de la valeur des qualités humaines : phrase qui est presque incompréhensible pour les francophones. Ce qui est important ici est que : des expressions qui semblent dire la même chose d’une langue dans une autre, ne font pas le même reste et n’évoquent pas les mêmes méthodes pour dire cette prétendue même chose. Cette distorsion d’imaginaire est fréquente d’une langue à l’autre. La préposition française entre s’imagine à travers le nombre trois, là où l’allemand, comme l’anglais, pense zwischen ou between à travers le nombre deux. Without – avec en dehors qui sort un élément d’en ensemble pour le mettre à part – est moins radical et annihilisant que sans. L’expression française, ici – dans le cas de la réduction du ne que – déchétise Dieu beaucoup plus que les langues saxonnes qui attirent plutôt l’attention sur ce qui reste d’un éventail de solutions qui ont été essayées et exclues.
Ne croyons d’ailleurs pas que, dans les sciences, il soit plus facile de neutraliser ces différences de sens. Entre une symbolisation et une autre de ce qui nous apparaît être la même idée, il y a des différences prodigieuses. Nous avons toujours l’impression qu’il n’y a qu’une façon de présenter les divisions, les nombres décimaux, les nombres fractionnaires (« rompus » comme on disait naguère), tout simplement parce qu’on nous les a appris tôt et que rien n’est venu contrebalancer cet apprentissage : or ce n’est pas vrai du tout et Éric Brian, par exemple, dans son dernier livre, Pour en finir avec l’abstraction numérique, celui qu’il nous a laissé avant de mourir, montre une façon, peu ordinaire à nos yeux, d’écrire les décimaux, qui nous incitent à regarder le « reste » sous des angles très différents[3]. Il n’y a pas que la langue vernaculaire qui, divisée par le symbolique, fasse des restes – encore qu’elle en fait : quand on prend un demi, on prend un demi quoi ? -, les langues symboliques elles-mêmes, entre elles, font des restes et nous les donnent à parler.
Revenons à nos lois, cette fois dans leur acception physique. Le rêve de la physique classique, elle de Galilée et de Newton, fut de découvrir les lois selon lesquelles s’organisaient les phénomènes. Il s’agit d’encapsuler les phénomènes dans une sorte de corset de lois qui approchent ou approximent de plus en plus finement les phénomènes ; en laissant toujours une marge d’incertitude que l’on finit par laisser de côté. Le calcul infinitésimal repose entièrement sur ce type d’approximation. Si certaines courbes ont des équations qui en décrivent le cours ou les engendrent, toutes les courbes ne se laissent pas représenter aussi aisément ; il faut en passer par le détour d’approximations, tenir un arc comme s’il était presque l’équivalent de sa corde, tant cela se passe à très petite échelle. Ainsi, on laisse s’introduire des approximations et, par conséquent, des restes que l’on fait travailler.
Voyons comment les restes peuvent devenir plus féconds et fructueux que l’opération qui leur a donné naissance. En d’autres termes, comment ce qui a été négligé peut-il être retourné et devenir l’essentiel d’une opération ?
Il est notoire que les livres prophétiques qui parlent de l’exil rapprochent la notion de reste des processus naturels de régénération. En effet, on trouve très souvent pour signifier la fécondité du reste, un vocabulaire ordinairement utilisé dans le domaine des plantes. Dans le Livre du prophète Esaïe, on peut lire : « En ce jour-là, le germe du Seigneur deviendra gloire et beauté, et le fruit du pays deviendra orgueil et splendeur pour les rescapés d’Israël. Alors, celui qui restera à Sion et celui qui sera laissé à Jérusalem seront appelés saints. » (Es 4, 2) Ce passage soulève le problème du reste du peuple, resté à Jérusalem et qui a échappé à l’exil. Ce reste est vu comme un germe propice à la reprise d’une vie dans le pays promis. Il apparaît comme une chance pour un recommencement. Les métaphores végétales l’expriment comme par exemple dans Esaïe (6, 8-13) où la dévastation de Jérusalem semble totale et pourtant : « S’il reste encore un dixième des habitants, il repassera par l’incendie ; mais, comme le térébinthe et le chêne conservent leur souche quand ils sont abattus, sa souche donnera une descendance sainte ». L’idée d’une promesse enracinée dans la terre sainte est tenace et rien, aucune catastrophe, aucune guerre ne doit la mettre à mal. Le reste apparaît comme une source inépuisable d’espérance pour les victimes des guerres et des déportations des temps bibliques. Bien sûr, cette idée est restée vivace dans la conscience du judaïsme jusqu’à nos jours. Elle a aussi influencé le christianisme : ancrés dans une tradition juive, les textes des Évangiles rédigés eux aussi dans des temps d’adversité et de diaspora ont réutilisé les images de ce reste et de cette régénération du peuple fidèle à Dieu. La figure du rejeton, sortant du tronc de Jessé et que l’on trouve dans le livre du prophète Esaïe (Es 11, 1), est ainsi réemployée par l’Évangile de Matthieu (Mt 2, 23) quand on annonce que Jésus va vivre à Nazaret pour que s’accomplisse la parole des prophètes : « il sera appelé nazoréen ». Ce terme vient de la racine netzer, rejeton. Jésus est donc lié à cette histoire d’Israël comme descendant de ce reste d’où tout peut renaître.
On fait aussi descendre Jésus de la lignée de Ruth, la moabite qui revient avec Noemie, seule rescapée de sa lignée qui revient à Bethléem. Ruth, la glaneuse du champ de Booz, seul à accepter d’être « racheteur » pour Noémie et sa belle-fille. Ruth figure ce reste fécond d’où naîtra Obed, ancêtre de Jésus. Là encore, c’est la métaphore agricole qui permet de mettre en évidence la résilience de tout un peuple après les catastrophes. Jésus est lui aussi rescapé, puisqu’il échappe au massacre des innocents pour annoncer la bonne nouvelle du salut.
Pour épanouir cette métaphore agraire qui verse la valeur de ce qui est gardé pour être semé par rapport à la valeur de ce qui est consommé, on pourrait ici invoquer Rousseau qui montre comment un gain, qui est généralement plus petit que le capital d’effort ou d’argent que j’ai investi, est un reste étonnamment productif. Il le fait particulièrement ressortir à propos de l’agriculture en montrant les gains qui peuvent être faits du grain qui n’est pas mangé mais planté dans le sol : « pour se livrer à cette occupation et ensemencer des terres, il faut se résoudre à perdre d’abord quelque chose pour gagner [improbablement] beaucoup dans la suite ; précaution fort éloignée du tour d’esprit de l’homme sauvage qui a bien de la peine à songer le matin à ses besoins du soir » (Sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, in : Œuvres complètes, T.III, NRF, Bibliothèque de La Pléiade, 1970, p. 173). Notons ce temps de l’homme sauvage complètement dénué d’anxiété ; alors que le temps de « l’homme de l’homme » en est dévoré : au lieu de consommer, il sème et espère trouver au centuple ce qu’il a placé en terre plutôt que de le manger ou de le jeter comme quelque chose d’inutile.
On peut étendre ce que dit Rousseau jusqu’à ce que dit Hume, son contemporain. Une politique de gain, rognée sur ce que j’aurais dépensé en consommations si je les avais faites, me permet de m’enrichir. Économiser, c’est faire des restes qui fructifient pour mon bénéfice et celui de l’ensemble de l’État. Le reste, c’est donc aussi ce qui est mis de côté pour faire fructifier son patrimoine, son capital. Voici ce que dit Hume à la gloire du commerce et des commerçants, dans un texte de réflexion sur ce qu’on appelle De l’Intérêt : « La profession de marchand est la seule qui puisse rendre la classe financière <Monied interest> très puissante, ou, en d’autres termes, qui puisse accroître l’industrie <industry signifie le travail, l’activité économique> et, en accroissant ainsi la frugalité, qui permette à des membres particuliers de la société de disposer d’une large part de cette industrie. En l’absence de commerce, l’État se compose principalement d’une petite noblesse foncière, dont la prodigalité et les dépenses créent une demande continuelle d’emprunt, et de paysans, qui n’ont pas l’argent nécessaire pour répondre à cette demande. L’argent n’est jamais rassemblé en sommes ou en fonds assez importants pour pouvoir être prêté à intérêt. Il est dispersé entre d’innombrables mains : tandis que les uns le dissipent en vaines magnificences, les autres l’emploient à se procurer les nécessités communes de la vie. Seul le commerce permet d’amasser l’argent en sommes considérables ; c’est là le simple effet de l’industrie qu’il engendre et de la frugalité qu’il inspire, indépendamment de la quantité particulière de métal précieux qui circule dans l’État » (Essais moraux, politiques et littéraires, et autres essais, PUF, Paris, 2001, p. 479).
« L’étude des perturbations, dit Renouvier, doit être la méthode la plus profonde pour conduire à la science des moyens et des critères de vérité ». (Bachelard, Essai sur la connaissance approchée, p.235).
« La confiance en la simplicité des lois physiques peut aussi entraîner à négliger des caractères primordiaux ». (Essai sur la connaissance approchée, 94).
Revenons à nos lois physiques dont nous avons dit qu’elles ne fonctionnaient et ne tenaient jamais leur allure de précision qu’à la condition de négliger leur approximation ; ce que savait admirablement faire les auteurs qui, au XVIIe siècle, décidaient de ne pas s’occuper de très petites quantités pour laisser apparaître des lois qui pouvaient s’articuler à d’autres, obtenues de la même façon. Ainsi peut-on se figurer qu’ « aucune force de la nature ne peut s’écarter de ses propres lois »[4], comme ose l’écrire Kant, en principe de la recherche physique et en totale négligence qu’une loi n’a guère de sens que dans un halo de probabilités. Il y a plus : cette articulation-même, qui peut être parfaite quand il s’agit d’articuler deux lois – encore qu’elle peut déjà donner lieu à de sérieuses difficultés (comme le montre le problème des trois corps) – devient d’une difficulté presque insurmontable quand il s’agit d’en articuler entre elles trois et, à plus forte raison, n. Or c’est souvent ce qu’on a laissé de côté, ce qu’on a négligé qui deviendra l’objet de mathématisations plus puissantes, donnant lieu à des approximations très différentes, voire intégrant en elles leur approximation (ce qui est le cas des règles probabilistes). Le négligeable est le terreau de ce qui sera la véritable création de demain.
Les lois physiques donnent un bon exemple de gestion du système dividende – diviseur – résultat (quotient) et reste. Le dividende est l’ensemble des phénomènes qu’il s’agit de mettre en ordre ; le diviseur est la loi par laquelle on essaie d’en rendre compte ; on obtient alors un résultat, un quotient, celui d’une relative adéquation du diviseur et du dividende ; cette adéquation n’est toutefois pas parfaite et laisse place à des restes[5]. N’imaginons surtout pas que ce système reste stable comme c’est le cas de la division élémentaire de nombres dont l’un fractionne l’autre : dans le travail physique, le diviseur et le dividende sont en constant mouvement l’un par rapport à l’autre. La loi que l’on cherche à établir « choisit » les objets qu’elle explique ; le dividende, ainsi changé, requiert une autre loi, fût-elle légèrement différente de la précédente. L’adéquation n’est donc plus la même et le résultat non plus. Ce ne sont pas des décimales que l’on gagne dans le résultat ; on a affaire à un déplacement réciproque de chaque terme de ce travail de division qu’est la physique. Ce qu’on n’explique pas dans un système n’a rien à voir avec ce qu’on n’explique pas dans un autre système ; même si un système plus puissant peut expliquer ce qu’on n’expliquait pas dans le système précédent.
Prenons un exemple dans deux textes de Bachelard.
« On détermine la loi de Newton par l’étude du système planétaire. On affirme que ce système a un mouvement réglé par une attraction en raison inverse du carré de la distance des masses considérées. Aux distances stellaires, on se rend compte que l’attraction n’a pas d’effet sensible et qu’en affirmer la persistance, c’est déroger aux conditions expérimentales qui ont présidé à l’établissement de la loi elle-même » (p. 74). De la même façon, le système n’est pas davantage adéquat pour « les phénomènes à petite échelle ».
Quand on ne peut plus négliger l’écart qui existe entre la loi qu’on s’est efforcé de fixer et ce dont elle est chargée de rendre compte – ce qui est régulièrement fait par les scientifiques -, on se met alors à parler de perturbations (de la loi) et l’on trouve le moyen de les corriger, de modifier les lois de telle façon qu’elles rendent compte de l’écart que l’on rencontre entre ce que l’on pouvait attendre des lois et les phénomènes tels qu’on peut les observer ; du moins, de telle façon qu’elles le comblent[6]. La notion de perturbation permet de conserver l’idée de loi dans son idéal de pure rigueur. Bachelard a raison de noter que c’est à partir de ces lois et de ces articulations de lois que l’on pense les dérogations (Le Nouvel Esprit scientifique, p. 102). Du coup, l’évolution scientifique est pensée comme s’affinant par un ajout permanent de corrections à une loi qui est constamment à distance de ce qu’elle veut expliquer ; même si cette distance paraît se réduire.
Or l’idée de Bachelard, qui me paraît plus juste, va exactement à l’inverse de ce schéma. « C’est l’idée même de perturbation qui paraît devoir être tôt ou tard éliminée ». Ainsi le reste – le jour, le hiatus- qui apparaissait entre les lois dans leur pureté idéale et les phénomènes, loin de devoir être négligé ou aménagé de telle sorte qu’on ne change pas les lois, mais qu’on les complique localement, ne doit plus être considéré comme un reste mais comme l’indice qu’il faut changer de lois et de systèmes d’explication. « On ne devra plus parler de lois simples qui seraient perturbées mais de lois complexes et organiques parfois touchées de certaines viscosités, de certains effacements » (Le nouvel esprit scientifique, p.157). Dès qu’apparaît un écart entre la loi et les phénomènes, plutôt qu’à un calfeutrage de l’échec de faire coïncider la loi que l’on écrit avec l’expérience, « c’est, tôt ou tard, [à] un changement de logique, [à] un changement profond de connaissance » (Le nouvel esprit scientifique, p. 137) qu’il faudra se livrer.
Ainsi, « on se trompe, croyons-nous, quand on voit dans le système newtonien, une première approximation du système einsteinien, car les finesses relativistes ne découlent point d’une application affinée des principes newtoniens. On ne peut donc pas dire correctement que le monde newtonien préfigure en ses grandes lignes le monde einsteinien. C’est après coup, quand on s’est installé d’emblée dans la pensée relativiste, qu’on retrouve dans les calculs astronomiques de la Relativité – par des mutilations et des abandons – les résultats numériques fournis par l’astronomie newtonienne ». Le système newtonien devient un cas particulier de la physique relativiste, « comme la géométrie d’Euclide n’est qu’un cas particulier de la Pangéométrie de Lobatchewsky » (Le nouvel esprit scientifique, p. 42).
Terminons sur une conclusion partielle que nous allons approfondir par notre avant-dernier propos qui nous acheminera vers une conclusion plus large. C’est Bachelard qui nous l’offre par sa remarque que « chaque époque scientifique est caractérisée à cet égard par ce qu’elle néglige plus que par ce qu’elle retient » (Essai sur la connaissance approchée, p. 59). Ce qui est vrai des périodes de l’histoire des sciences l’est aussi des individus à chaque phase de leur vie et dans des domaines différents des sciences.
Toutes les actions, d’une façon ou d’une autre, font des restes. Les restes envisagés comme travail inconscient des actions dont nous sommes conscients ; ou comme les sources de ce travail.
Nous avons, jusqu’à présent mis l’accent sur les notions de partage et de reste du partage ; il nous faut désormais tout autant insister sur la notion de désir et de besoin mais à condition que ce besoin soit un besoin humain. Expliquons-nous : la nature ne fait pas de reste ; en soi, il n’y a pas de reste. Il n’y a de reste que parce que le désir humain n’atteint jamais les fins qu’il recherche ou imagine rechercher et rebondit sans cesse. Ce sont cet échec et cette insatisfaction permanente qui font le reste dont on va tenter de se servir pour combler un vide qui se creuse devant l’insatisfaction qu’il faudra à nouveau combler en une interminable dérive. Si j’ai les yeux plus gros que le ventre, comme le dit l’expression proverbiale, je vais faire des restes ; ce que ne fait jamais l’homme sauvage de Rousseau. L’homme sauvage prend ce que la nature lui donne et, pas plus que la nature elle-même, il n’a lieu de faire des restes. L’homme de la nature, s’il a jamais existé, est ce qu’il est ; il ne se projette pas : il mange quand il a faim, prélève directement sur la nature ce qu’il lui faut, ne prévoit pas ce qu’il a à faire à un autre moment que le moment présent, s’il y a un sens à parler de présent quand il n’y a ni futur ni passé. Son monde est plein ; il ne connaît ni le vide, ni le néant, ni la mort. Alors que le nôtre, celui du désir, est plein de vide ; il fait constamment apparaître un trop plein avec lequel il va nous falloir remplir un nouveau vide. L’homme de la nature n’a rien à perdre ; alors qu’il arrive à « l’homme de l’homme » de dire qu’ « il a tout perdu », faussement d’ailleurs, puisque, qu’il puisse le dire est la preuve qu’il n’a ni perdu la vie, ni la conscience d’avoir tout perdu. Ce qu’on ne peut pas perdre, ce qui reste encore à celui qui a « tout perdu », n’est-ce pas la conscience d’avoir tout perdu ? N’est-ce pas l’art de C. Boltanski de jouer sur cette perte « presque » totale ?
Nous avons beaucoup parlé de l’espoir extraordinaire que véhicule le reste pour un peuple en exil qui espère revenir à une situation première qu’il imagine pouvoir un jour retrouver. Le désir de permanence est tel que l’espoir de retrouver le pays perdu donne parfois le pire en matière d’idéologie. L’exemple biblique le plus frappant est celui du livre d’Esdras, qui raconte le retour des exilés à Jérusalem et l’illusion qui l’accompagne. Les exilés reçoivent de Cyrus le droit de revenir sur la terre de leurs ancêtres. Mais en réalité, 70 ans après l’exil, ce ne sont pas ceux qui sont partis qui reviennent mais leurs descendants. Le temps a fait que le retour d’exil est en fait impossible. Le désir de retour, transmis de génération en génération, est tout à fait fictif. Ceux des Israélites qui sont invités à aller dans le pays de leurs pères, deviennent en quelque sorte des exilés à leur tour, ils laissent toute leur vie à Babylone pour venir occuper à nouveau la terre réputée promise, avec l’idée qu’un reste du peuple les attend. La fameuse souche avec laquelle tout peut recommencer. Sauf que la souche qui les attend a, elle aussi, changé et les Judéens qui sont sur place ont organisé leur vie selon les circonstances, les flux migratoires, organisés par Babylone et ils ont épousé des femmes des nations. Au lieu de prendre acte de cette situation, les « revenants » d’Israël vont s’adonner à une épuration pour retrouver la race pure du peuple resté sur la terre des ancêtres. C’est d’ailleurs parce que ces exilés qui disent revenir chez eux se considèrent eux-mêmes comme le vrai reste du peuple qu’ils vont se sentir légitimes dans leur violence et leur colonisation. Le discours d’homologation vise à instrumentaliser l’alliance du peuple avec son Dieu pour justifier qu’on renvoie toutes les femmes étrangères épousées par les Judéens pendant l’exil et leurs enfants, afin de repartir d’une souche pure, d’un reste sans mélange (Esd 10, 3).
Cette mesure va à l’encontre de tous les autres textes dont nous avons parlé et qui mettent en évidence l’espérance immense placée dans ce qui est rejeté, ce qui est laissé pour compte. Le salut, dans les textes d’Ésaïe, passe par les personnes et les personnes les plus improbables et c’est souvent le reste, qu’on croyait oublié qui devient salvateur.
Tous les actes de « l’homme de l’homme », si on veut bien l’opposer à « l’homme de la nature », fût-ce par fiction, font des déchets ; tous ses actes contiennent, d’une certaine façon, leur contraire qu’ils imaginent ne pas avoir fait, parce qu’aucun acte ne peut être absolument sûr de ce qu’il fait, sans y introduire du risque, du probable, de la chance, de ce qui s’est déjà passé de semblable. Tous les actes impliquent que l’on ait plutôt choisi telle option que l’option contraire, mais ils gardent quelque chose de l’action contraire, même s’ils ne le savent pas. Ils se contredisent, parce qu’ils portent en eux-mêmes leurs restes, la plupart du temps sans le savoir. Mais ce que la psychanalyse montre de plus essentiel, c’est que souvent on se trompe fort en croyant que puisqu’on est conscient de A, non-A n’existe quasiment plus ou n’a plus aucune importance. L’inconscient des actions est leur envers et il n’y a pas d’action sans envers. Ce qui est public, ce qui est visible dans un acte, ce qui paraît universel, et ouvert au regard de tous n’est pas forcément ce qui importe le plus.
Que ton oui soit oui, que ton non soit non, dit l’Écriture (Matt. 5, 37). Certes, mais est-ce possible ? Sans doute ne convient-il pas de se laisser porter par les choses pour avoir un oui ou pour avoir un non et faut-il faire, produire ce oui ou ce non. Mais faire l’un implique toujours d’avoir affaire à l’autre lequel rôde dans les parages. Ne peut-on jamais dire oui qu’à ce qui est menacé par un non et non qu’à ce qui est menacé d’un oui ?
La pratique est une sorte d’art des restes, qui paraissent avoir été laissés pour compte. Dis-moi ce que tu laisses, négliges ou jettes et je te dirai qui tu es ; ce qui ne veut pas dire que ce que tu négliges ne continue pas de te sculpter et souvent pour le pire, puisqu’il vaut mieux savoir ce que l’on fait de soi plutôt que d’en être ignorant. Lacan avait un mot pour dire cela ou plutôt, comme à l’accoutumée, un jeu de mots. Il parlait de la publication, qu’il prononçait « poubellication » comme d’un acte de l’inconscient. Il suggérait que ce qu’on poubellise peut se révéler aussi important que ce qu’on sauve de la poubelle ; à moins que – et là commence le plein effet du jeu de mots – l’acte de rendre public, de jeter en pâture au public, ne soit, à son tour, une manière de poubelli(s)er. On trouve, chez Kierkegaard et chez Nietzsche, le principe de cette façon de penser qui inverse les propos ordinaires tenus sur la question. C’est souvent ce qui est public qui mérite la poubelle. Ce qu’on cache est souvent moins poubellicable que ce qu’on montre. Ce qu’on publie – ce qu’on place sous le regard d’autrui en s’effaçant soi-même – n’est jamais que le commun, que la vulgarisation, de ce qui est gardé comme plus précieux. L’universel – ce que l’on met en commun – n’est jamais que le déchet de ce qui a plus de valeur et ne se laisse pas universaliser. Écoutons Nietzsche, sur ce point, dans Par-delà le bien et le Mal (1886) :
« Seront-ils de nouveaux amis de la « vérité », ces philosophes de l’avenir ? [Oui], selon toute vraisemblance, car tous les philosophes ont, jusqu’à présent, aimé leurs vérités. Mais ce ne seront sûrement pas des faiseurs de systèmes dogmatiques. Il répugnera à leur orgueil et à leur goût que leur vérité soit aussi à l’usage de tout le monde, comme c’était jusqu’à présent le vœu secret et l’arrière-pensée de tous les dogmatiques. Mon jugement est mon jugement à moi et personne d’autre n’y a droit facilement — ainsi s’exprimera peut-être un de ces philosophes de l’avenir. Il faut se garder du mauvais goût d’être d’accord avec le plus grand nombre. Dans la bouche du voisin, le « bien » n’est plus le bien. Et comment même pourrait-il y avoir un « bien commun » ? Les deux mots se contredisent : ce qui peut être commun n’a jamais que peu de valeur ».
Fin 1847, Kierkegaard confie à son Journal :
« Ce qui rend ma position des plus difficiles dans la vie publique, c’est que les hommes sont hors d’état de comprendre ce contre quoi je lutte. Faire front contre la foule, c’est dans l’idée de la plupart parfaitement absurde, car la foule est la pluralité, et le public n’est-il pas justement le pouvoir sauveur, ces ligues amies de la liberté d’où doit venir le salut ».
« La foule, c’est le mensonge, précise-t-il C’est pourquoi, au fond, nul ne méprise plus la condition de l’homme que ceux qui font profession d’être à la tête de la foule. Que l’un de ces meneurs voie un homme venir le trouver : certes, il ne s’en soucie pas ; c’est beaucoup trop peu ; il le renvoie orgueilleusement ; il ne reçoit pas à moins de centaines. Et s’il y en a mille, il s’incline alors devant la foule et distribue force courbettes ; quel mensonge ! Non, quand il s’agit d’un homme isolé, on doit exprimer la vérité en respectant la condition humaine ; et si peut-être, suivant le langage cruel, il s’agit d’un pauvre diable d’homme, on a le devoir de l’inviter chez soi dans la meilleure pièce et, si l’on a plusieurs voix, de prendre la plus charitable et la plus amicale : cette conduite est la vérité » (Kierkegaard, Œuvres Complètes, Paris, 1966-1986, t. 16, p. 84).
C’est ce qui est infiniment singulier qui seul mérite d’être partagé et c’est aussi sur ce qui est le plus difficile à partager que se fonde la véritable universalité.
L’Église triomphante, celle du protestantisme dans les États du Nord de l’Europe, perd la notion essentielle de cheminement. « Ce qui a surtout contribué à l’hérésie de l’Église triomphante, soutient Kierkegaard, c’est d’avoir conçu le christianisme comme vérité où l’on distingue entre le chemin et le résultat, ou d’avoir conçu la vérité du christianisme comme un résultat, ou encore, si l’on veut, comme un reste, un produit » (Œuvres Complètes, Paris, 1966-1986, t. 17, p. 185).
Que doit faire alors le témoin de la vérité ? Il a pour tâche, nous dit Kierkegaard, de se commettre si possible avec tous, « mais toujours individuellement, de parler à chacun isolément, dans la rue et sur la place – pour disperser – ou de parler à la foule, non pour la former, mais pour que tel ou tel s’en retourne chez lui de l’assemblée pour devenir l’Individu » (Kierkegaard, Œuvres Complètes, Paris, 1966-1986, t. 16, p. 86).
Ainsi, le travail du reste revêt deux aspects. Le premier est très bien mis en relief par l’arithmétique qui ne laisse pas le reste inerte. En travaillant, le reste se fait restant et il pousse de lui-même à se transformer. Il se fait toujours, dans nos actes, sous nos actes, à côté de nos actes, un équilibre fragile avec ce que nous ne pensons pas faire et que nous faisons tout de même – entre la probabilité qu’il réussisse et celle qu’il échoue -. Court toujours sous nos actes ce que nous croyons être une passivité et qui est en réalité une activité que nous ne nous savons pas avoir, une étrange activité qui, pour être inverse de celle des actes délibérés, n’est pas moins effective qu’elle. Ce qui est délaissé dans un acte est au moins aussi important que ce qui est pris en compte. Dis-moi ce que tu délaisses ou rejettes dans tes actions et je te dirai ce que tu recherches en agissant. On apprend beaucoup sur quelqu’un en sachant ce qu’il néglige ou ce qu’il rejette.
Mais il est un second aspect auquel nous accèderons par un dernier exemple pour montrer ce travail qui se fait dans les sujets, mais sans eux, sans leur décision. Quand nous apprenons de la bouche d’un médecin que nous sommes atteints d’une grave maladie qui raccourcira, très probablement, notre longévité et qui peut nous conduire à une mort prochaine, passés les premiers moments de « blanc » et de stupeur où l’avenir ne parvient pas à s’emplir tant il s’est trouvé empêché, oblitéré, plombé, un renversement s’effectue. Au lieu de mesurer le temps qu’il nous faut pour faire quelque chose par le temps qu’il nous fallait naguère pour faire des choses semblables, nous nous mettons à penser en termes de temps qui reste, de temps que nous estimons nous rester ; qui est en grande partie un fantasme puisque nous ne connaissons pas ce temps. Toutefois, c’est avec ce temps anxieux que nous mesurons notre propre présent comme point de départ d’une tâche future. « Pourvu qu’il me laisse le temps » murmure le déserteur de Boris Vian avant qu’une abeille de cuivre chaud ne vienne le foudroyer. Un étrange projectile pour une étrange projection tronquée nous sert d’unité de mesure.
Mais, quand bien même cette structure temporelle serait liée à l’expérience de la grave maladie, elle trame aussi la conscience du temps de celui qui entreprend un travail : en toute entreprise, il faut non seulement l’énergie disponible, mais encore la chance d’avoir suffisamment de temps pour la réaliser. « Mort soudaine, seule à craindre » dit Pascal (Sel., 781), parce qu’elle ne laisse plus aucun temps ; même plus, parfois, le temps de le dire.
Le reste, dans la Bible, fait appel à l’espace et au temps. Il est lié à une terre promise à laquelle on s’accroche, comme si elle nous appartenait pour toujours alors même que la notion de reste est créée à partir de la réalité du déracinement. Le reste d’Israël est constitué soit par l’élite exilée soit par les plus pauvres laissés en Judée pour la raison qu’ils sont inoffensifs. Il est étonnant de voir comment, au nom de la fidélité, tel ou tel groupe humain se revendique comme reste du peuple élu. La notion de reste, qui pourrait alors être péjorative et relève d’une errance de ceux qui n’ont plus de lieu, devient dans la perspective de l’espérance une notion positive car c’est sur ce reste que repose tout espoir de retrouver une dignité. Le temps du reste montre aussi combien l’éternité de la demeure, permet aux vaincus de l’histoire de patienter jusqu’au jour où ils retrouvent leur lieu légitime, leur droit, leur fierté. Mais ce temps, distendu en éternité, occulte les changements et la réalité d’une évolution de ce qu’on a érigé au rang de paradis perdu. Heureusement, tous ceux qui se vivent comme rescapés ne deviennent pas colons, ou adeptes de la nation pure et beaucoup apprennent de leur situation de reste, une précarité qui les aide à voir la vie, non pas comme une attente de retour vers le passé, mais comme une ouverture vers l’horizon des possibles les plus improbables. On n’éradique jamais totalement un espoir ; il repousse toujours, c’est là son salut.
[1] Le mot de « quotient » est plus riche que celui de résultat en ce qu’il garde en lui la conscience d’un rapport entre deux nombres qui se divisent l’un l’autre.
[2] Scheler cite ce proverbe dans le très court chapitre 10 de la première partie de Nature et forme de la sympathie sous la forme – « La souffrance partagée devient une demi-souffrance, la joie partagée une double joie » (Petite Bibliothèque Payot, Paris, 1971, p. 197) -, en l’assortissant du commentaire qu’il est « un des rares proverbes qui résistent à l’épreuve morale ».
[3] Pour en finir avec l’ivresse de l’abstraction numérique, p. 33 : avant le XIXe siècle, on avait affaire à une notation fractionnaire et non pas décimale (comme celle à laquelle nous sommes habitués au point de ne même plus pouvoir penser qu’il peut en exister une autre : « Ainsi 25/3 n’était pas noté 8,333 mais 1/3 8. Je ne peux que constater ici que la notation fractionnaire était rigoureuse alors que la décimale, celle familière à nos yeux, ne peut exprimer qu’une approximation, une caractéristique à laquelle nous ne pensons plus tant nous y sommes habitués ». Après tout, cette notation n’est pas perdue puisqu’on peut écrire aujourd’hui 8 1/3, formulation sur le compte de laquelle on pourrait faire les mêmes commentaires que les précédents. La formulation décimale fait des restes ; la formulation fractionnaire n’en fait pas.
[4] Critique de la raison pure, Barni, p. 318.
[5] Dans son Essai de connaissance approchée, Bachelard prend un exemple à la fois trivial et intéressant : « Au seuil de la science, quand la pensée faisait corps avec l’expérience, des erreurs que nous estimons très grossières, pouvaient donc impunément subsister si elles étaient pratiquement négligeables. Si les Egyptiens donnaient comme surface du triangle le demi-produit du plus grand côté par le plus petit, c’est que leur géométrie était un arpentage et que les terrains triangulaires qu’ils avaient à apprécier étaient des triangles en général sans angle très aigu ou très obtus. La faute théorique était considérable, mais elle ne pouvait faire scandale tant qu’elle n’entraînait pas en pratique des erreurs sensibles. Autrement dit, bien loin de pouvoir dépasser les conditions de sa vérification, l’intuition était constamment renforcée par l’action » (p. 167).
[6] Ce calfeutrage du hiatus provoqué par la perturbation a été globalement le travail de Laplace à l’égard de la loi de Newton, mise à mal tout le long du XVIIIe siècle par des expériences fines, susceptibles de rendre extrêmement résistants les hiatus qu’elles constituent à l’égard de la loi.
La division en arithmétique élémentaire
| dividende │ | diviseur |
| _______________________│_______ | ___________________________________ |
| reste │ | quotient ou résultat |
Pascal sur les indivisibles ; l’idée d’un reste essentiel
« S’il était véritable que l’espace fût composé d’un certain nombre fini d’indivisibles, il s’ensuivrait que deux espaces , dont chacun serait carré, c’est-à-dire égal et pareil de tous côtés, étant doubles l’un de l’autre, l’un contiendrait un nombre de ces indivisibles double du nombre des indivisibles de l’autre. Qu’ils retiennent bien cette conséquence, et qu’ils s’exercent ensuite à ranger des points en carrés jusqu’à ce qu’ils en aient rencontré des dont l’un ait le double de points de l’autre, et alors je leur ferai céder tout ce qu’il y a de géomètres au monde. Mais si la chose est naturellement impossible, c’est-à-dire s’il y a impossibilité invincible à ranger des carrés de points, dont l’un en ait le double de l’autre […], qu’ils en tirent la conséquence » [c’est-à-dire qu’il est impossible qu’il y ait des atomes conçus comme des êtres ultimement indivisibles].
Pascal B., Opuscules, De l’esprit géométrique et de l’art de persuader, Œuvres complètes, Pléiade, Bruges, 1964.
Rousseau sur l’agriculture
« Pour se livrer à cette occupation [l’agriculture] et ensemencer des terres, il faut se résoudre à perdre d’abord quelque chose pour gagner beaucoup dans la suite ; précaution fort éloignée du tour d’esprit de l’homme sauvage qui a bien de la peine à songer le matin à ses besoins du soir » (Sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, in : Œuvres complètes, T.III, NRF, Bibliothèque de La Pléiade, 1970, p. 173).
Hume sur l’intérêt
« La profession de marchand est la seule qui puisse rendre la classe financière <Monied interest> très puissante, ou, en d’autres termes, qui puisse accroître l’industrie <industry> et, en accroissant ainsi la frugalité, qui permette à des membres particuliers de la société de disposer d’une large part de cette industrie. En l’absence de commerce, l’État se compose principalement d’une petite noblesse foncière, dont la prodigalité et les dépenses créent une demande continuelle d’emprunt, et de paysans, qui n’ont pas l’argent nécessaire pour répondre à cette demande. L’argent n’est jamais rassemblé en sommes ou en fonds assez importants pour pouvoir être prêté à intérêt. Il est dispersé entre d’innombrables mains : tandis que les uns le dissipent en vaines magnificences, les autres l’emploient à se procurer les nécessités communes de la vie. Seul le commerce permet d’amasser l’argent en sommes considérables ; c’est là le simple effet de l’industrie qu’il engendre et de la frugalité qu’il inspire, indépendamment de la quantité particulière de métal précieux qui circule dans l’État » (Hume D., Essais moraux, politiques et littéraires, et autres essais, PUF, Paris, 2001, p. 479).
Bachelard sur l’approximation selon Le nouvel esprit scientifique et l’Essai sur la connaissance approchée
« On détermine la loi de Newton par l’étude du système planétaire. On affirme que ce système a un mouvement réglé par une attraction en raison inverse du carré de la distance des masses considérées. Aux distances stellaires, on se rend compte que l’attraction n’a pas d’effet sensible et qu’en affirmer la persistance, c’est déroger aux conditions expérimentales qui ont présidé à l’établissement de la loi elle-même » (p. 74). De la même façon, le système n’est pas davantage adéquat pour « les phénomènes à petite échelle ».
Quand on ne peut plus négliger l’écart qui existe entre la loi qu’on s’est efforcé de fixer et ce dont elle est chargée de rendre compte – ce qui est régulièrement fait par les scientifiques -, on se met alors à parler de perturbations (de la loi) et l’on trouve le moyen de les corriger, de modifier les lois de telle façon qu’elles rendent compte de l’écart que l’on rencontre entre ce que l’on pouvait attendre des lois et les phénomènes tels qu’on peut les observer ; du moins, de telle façon qu’elles le comblent [i]. La notion de perturbation permet de conserver l’idée de loi dans son idéal et dans sa prétendue pureté. Bachelard a raison de noter que c’est à partir de ces lois et de ces articulations de lois que l’on pense les dérogations (Le Nouvel Esprit scientifique, p. 102). Du coup, l’évolution scientifique est pensée comme s’affinant par un ajout permanent de corrections.
Or l’idée de Bachelard, qui me paraît plus juste, va exactement à l’inverse de ce schéma. « C’est l’idée même de perturbation qui paraît devoir être tôt ou tard éliminée ». Ainsi le reste -le jour – qui apparaissait entre les lois dans leur pureté idéale et les phénomènes loin de devoir être négligé ou aménagé de telle sorte qu’on ne change pas les lois, mais qu’on les complique localement, ne doit plus être considéré comme un reste mais comme un indice qu’il faut changer de lois et de systèmes d’explication. « On ne devra plus parler de lois simples qui seraient perturbées mais de lois complexes et organiques parfois touchées de certaines viscosités, de certains effacements » (Le nouvel esprit scientifique, p.157). Dès qu’apparaît un écart entre la loi et les phénomènes, plutôt qu’un calfeutrage de l’échec de faire coïncider la loi que l’on écrit avec l’expérience, « c’est, tôt ou tard, [à] un changement de logique, [à] un changement profond de connaissance » (Le nouvel esprit scientifique, p. 137) qu’il faudra se livrer.
Ainsi, « on se trompe, croyons-nous, quand on voit dans le système newtonien, une première approximation du système einsteinium, car les finesses relativistes ne découlent point d’une application affinée des principes newtoniens. On ne peut donc pas dire correctement que le monde newtonien préfigure en ses grandes lignes le monde einsteinium. C’est après coup, quand on s’est installé d’emblée dans la pensée relativiste, qu’on retrouve dans les calculs astronomiques de la Relativité – par des mutilations et des abandons – les résultats numériques fournis par l’astronomie newtonienne ». Le système newtonien devient un cas particulier de la physique relativiste, « comme la géométrie d’Euclide n’est qu’un cas particulier de la Pangéométrie de Lobatchewsky » (Le nouvel esprit scientifique, p. 42).
Nietzsche sur l’universalité. Par-delà le bien et le mal, § 43.
« Seront-ils de nouveaux amis de la « vérité », ces philosophes de l’avenir ? Selon toute vraisemblance, car tous les philosophes ont, jusqu’à présent, aimé leurs vérités. Mais ce ne seront sûrement pas des faiseurs de systèmes dogmatiques. Il répugnera à leur orgueil et à leur goût que leur vérité soit aussi à l’usage de tout le monde, comme c’était jusqu’à présent le vœu secret et l’arrière-pensée de tous les dogmatiques. « Mon jugement est mon jugement à moi et personne d’autre n’y a droit facilement — ainsi s’exprimera peut-être un de ces philosophes de l’avenir. Il faut se garder du mauvais goût d’être d’accord avec le plus grand nombre. Dans la bouche du voisin, le « bien » n’est plus le bien. Et comment même pourrait-il y avoir un « bien commun » ? Les deux mots se contredisent : ce qui peut être commun n’a jamais que peu de valeur ».
Exode 13, 19 Moïse emporte avec lui les restes de Joseph
19 Moïse prit avec lui les ossements de Joseph ; car Joseph avait fait prêter serment aux fils d’Israël, en disant : Quand Dieu interviendra en votre faveur, vous emporterez d’ici mes ossements avec vous.
Genèse 18, 23-33 , Abraham intercède pour Sodome
23 Abraham s’approcha et dit : Vas-tu vraiment supprimer le juste avec le méchant ?
24 Peut-être y a-t-il cinquante justes au milieu de la ville : vas-tu vraiment supprimer ? Ne pardonneras-tu pas à ce lieu à cause des cinquante justes qui s’y trouvent ?
25 Jamais tu ne ferais une chose pareille : mettre à mort le juste avec le méchant, de sorte qu’il en serait du juste comme du méchant, jamais ! Le juge de toute la terre n’agirait-il pas selon l’équité ?
26 Le Seigneur dit : Si je trouve, à Sodome, cinquante justes au milieu de la ville, à cause d’eux je pardonnerai à ce lieu tout entier.
27 Abraham reprit : J’ose te parler, Seigneur, alors que je ne suis que poussière et cendre…
28 peut-être, des cinquante justes, en manquera-t-il cinq : pour cinq, anéantiras-tu toute la ville ? Il répondit : Je ne l’anéantirai pas, si j’en trouve là quarante-cinq.
29 Abraham continua cependant de lui parler ; il dit : Peut-être s’en trouvera-t-il là quarante. Il répondit : A cause de ces quarante-là, je ne ferai rien.
30 Abraham dit : Je t’en prie, Seigneur, ne te fâche pas si je parle encore. Peut-être s’en trouvera-t-il là trente. Il répondit : Je ne ferai rien si j’en trouve là trente.
31 Abraham dit : J’ose encore te parler, Seigneur… peut-être s’en trouvera-t-il là vingt. Il répondit : A cause de ces vingt-là, je n’anéantirai pas.
32 Abraham dit : Je t’en prie, Seigneur, ne te fâche pas si je parle encore une fois : peut-être s’en trouvera-t-il dix. Il répondit : A cause de ces dix-là, je n’anéantirai pas.
33 Lorsqu’il eut achevé de parler à Abraham, le Seigneur s’en alla, et Abraham retourna chez lui.
Jérémie 42, 7-17, Jérémie incite le reste de la population a rester dans le pays.
7Dix jours après, la parole du Seigneur parvint à Jérémie. 8Jérémie appela alors Yohanân, fils de Qaréah, tous les chefs de l’armée qui étaient avec lui et tout le peuple, depuis le plus petit jusqu’au plus grand. 9Il leur dit : Ainsi parle le Seigneur, le Dieu d’Israël, vers qui vous m’avez envoyé pour que je fasse parvenir votre supplication devant lui : 10Si vous continuez à habiter ce pays, je vous bâtirai, je ne raserai pas ; je vous planterai, je ne déracinerai pas ; car je regrette le mal que je vous ai fait. 11N’ayez pas peur du roi de Babylone ; celui dont vous avez peur, n’ayez pas peur de lui – déclaration du Seigneur – car je suis avec vous pour vous sauver et vous délivrer de sa main. 12Je vous accorderai de la compassion : il aura compassion de vous, et il vous ramènera sur votre terre. 13Mais si vous dites : « Nous n’habiterons pas ce pays ! », si vous n’écoutez pas le Seigneur, votre Dieu, 14si vous dites : « Non, nous irons en Egypte, où nous ne verrons pas de guerre, où nous n’entendrons pas le son de la trompe, où nous ne manquerons pas de pain, et c’est là que nous habiterons », 15alors écoutez la parole du Seigneur, reste de Juda ! Ainsi parle le Seigneur (YHWH) des Armées, le Dieu d’Israël : Si vraiment vous décidez de vous rendre en Egypte, si vous allez y séjourner en immigrés, 16l’épée dont vous avez peur vous atteindra là-bas, en Egypte ; la famine, objet de vos inquiétudes, s’attachera à vous là-bas, en Egypte ; c’est là que vous mourrez. 17Tous ceux qui décideront de se rendre en Egypte pour y séjourner en immigrés mourront par l’épée, par la famine ou par la peste, et il n’y aura pour eux ni survivant, ni rescapé du malheur que je ferai venir sur eux.
Matthieu 14, 13-21, Première multiplication des pains
13A cette nouvelle, Jésus prit un bateau pour se retirer à l’écart, dans un lieu désert ; les foules l’apprirent, quittèrent les villes et le suivirent à pied. 14Quand il descendit du bateau, il vit une grande foule, et il en fut ému ; il guérit leurs malades.
15Le soir venu, les disciples vinrent lui dire : Ce lieu est désert, et l’heure est déjà avancée ; renvoie les foules, pour qu’elles aillent s’acheter des vivres dans les villages. 16Mais Jésus leur dit : Elles n’ont pas besoin de s’en aller ; donnez-leur vous-mêmes à manger. 17Ils lui disent : Nous n’avons ici que cinq pains et deux poissons. 18Et il dit : Apportez-les-moi ici. 19Il ordonna aux foules de s’installer sur l’herbe, prit les cinq pains et les deux poissons, leva les yeux vers le ciel et prononça la bénédiction. Puis il rompit les pains et les donna aux disciples, et les disciples en donnèrent aux foules. 20Tous mangèrent et furent rassasiés, et on emporta douze paniers pleins des morceaux qui restaient. 21Ceux qui avaient mangé étaient environ cinq mille hommes, sans compter les femmes et les enfants.
Matthieu 15, 21-28, les miettes de la cananéenne
21 Jésus partit de là et se retira vers la région de Tyr et de Sidon.
22 Une Cananéenne venue de ce territoire se mit à crier : Aie compassion de moi, Seigneur, Fils de David ! Ma fille est cruellement tourmentée par un démon.
23 Il ne lui répondit pas un mot ; ses disciples vinrent lui demander : Renvoie-la, car elle crie derrière nous.
24 Il répondit : Je n’ai été envoyé qu’aux moutons perdus de la maison d’Israël.
25 Mais elle vint se prosterner devant lui en disant : Seigneur, viens à mon secours !
26 Il répondit : Ce n’est pas bien de prendre le pain des enfants pour le jeter aux chiens.
27 – C’est vrai, Seigneur, dit-elle ; d’ailleurs les chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres…
28 Alors Jésus lui dit : O femme, grande est ta foi ; qu’il t’advienne ce que tu veux. Et dès ce moment même sa fille fut guérie.
Matthieu 15, 32-38 : Deuxième multiplication des mains
32 Jésus appela ses disciples et dit : Je suis ému par cette foule : voilà déjà trois jours qu’ils restent auprès de moi et qu’ils n’ont rien à manger. Je ne veux pas les renvoyer à jeun, de peur qu’ils ne défaillent en chemin.
33 Les disciples lui dirent : Où trouverions-nous, dans ce lieu désert, assez de pains pour rassasier une si grande foule ?
34 Jésus leur dit : Combien de pains avez-vous ? Sept, répondirent-ils, et quelques petits poissons.
35 Alors il enjoignit à la foule de s’installer par terre
36 et prit les sept pains et les poissons ; après avoir rendu grâce, il les rompit et se mit à les donner aux disciples, et les disciples en donnèrent aux foules.
37 Tous mangèrent et furent rassasiés, et on emporta sept corbeilles pleines des morceaux qui restaient.
38 Ceux qui avaient mangé étaient quatre mille hommes, sans compter les femmes et les enfants.
Jérémie 31, 7-9, Le Seigneur ramène le reste d’Israêl sur sa terre
7 Seigneur, sauve ton peuple,
le reste d’Israël !
8 – Je les ramène du pays du nord,
je les rassemble des confins de la terre ;
parmi eux sont l’aveugle et le boiteux,
la femme enceinte comme la femme en travail ;
c’est une grande assemblée qui revient ici.
9 Ils arrivent en pleurant,
et je les conduis dans leurs supplications ;
je les mène vers des cours d’eau,
par un chemin tout droit où ils ne peuvent trébucher
Esaïe 4, 2-3, le germe du Seigneur
2 En ce jour-là, le germe du Seigneur deviendra beauté et gloire, et le fruit du pays deviendra orgueil et splendeur pour les rescapés d’Israël.
3 Alors celui qui restera à Sion et celui qui sera laissé à Jérusalem seront appelés saints.
Esaïe 6, La souche d’où renaîtra le peuple.
11 Je dis : Jusqu’à quand, Seigneur ? Et il répondit :
Jusqu’à ce que les villes soient saccagées, sans habitants,
les maisons sans hommes,
et la terre saccagée, dévastée ;
12 jusqu’à ce que le Seigneur ait éloigné les hommes
et que le pays soit tout à fait abandonné.
13 S’il y reste encore un dixième des habitants,
il repassera par l’incendie ;
mais, comme le térébinthe et le chêne
conservent leur souche quand ils sont abattus,
sa souche donnera une descendance sainte.
Esaïe 11, 1, le rejeton de Jessé
1 Alors un rameau sortira du tronc de Jessé,
un rejeton de ses racines sera fécond.
Esdras 10, 1-2, les femmes étrangères et leurs enfants renvoyés.
1 Pendant qu’Esdras, en pleurs et prostré devant la maison de Dieu, faisait cette prière et cette confession, une assemblée très nombreuse de gens d’Israël, hommes, femmes et enfants s’était réunie auprès de lui, et le peuple répandait d’abondantes larmes.
2 Alors Shekania, fils de Yehiel, qui était d’entre les Elamites, dit à Esdras : Nous avons commis un sacrilège envers notre Dieu en épousant des femmes étrangères d’entre les peuples du pays. Mais maintenant, il y a encore une espérance pour Israël à ce sujet.
Matthieu 5, 37 , le reste de la parole
37 Que votre parole soit « oui, oui », « non, non » ; ce qu’on y ajoute vient du Mauvais.
Michée 5, 6 , le reste de Jacob ou reste d’Israël
6 Le reste de Jacob sera,
au sein de la multitude des peuples,
comme une rosée qui vient du Seigneur,
comme des ondées sur l’herbe,
qui n’espèrent rien de l’homme,
qui n’attendent rien des humains.
[i] Ce calfeutrage du hiatus provoqué par la perturbation a été globalement le travail de Laplace à l’égard de la loi de Newton, mise à mal tout le long du XVIIIe siècle par des expériences fines dont il était impossible de rendre compte par la loi de gravitation.