Un texte et une prédication de Bernard Reymond

Bernard Reymond, né le 7 janvier 1933 à Lausanne et mort le 29 juin 2025 , était un pasteur et théologien suisse, professeur honoraire de théologie pratique à la Faculté de théologie de l'université de Lausanne. Il était une personnalité du protestantisme libéral et après avoir été pasteur suffragant à la jeunesse de 1959 à 1960 à l'Oratoire du Louvre, il y est resté un grand ami tout au long de sa carrière . Vous trouverez ici un texte remarquable sur la nouvelle Cène protestante du temps de Zwingli et une de ses prédications " chantez avec les anges". Une belle invitation!

Une nouvelle mise en scène de la foi

EXTRAITS DE «  Le protestantisme et les images : pour en finir avec quelques clichés »

avec l’aimable autorisation de l’éditrice

Editions Labor et Fides SA, Protestantismes, Genève, 1999

Bernard Reymond »

Pages 12 et 13

 

Une nouvelle mise en scène de la foi

En fort peu de temps, les gens des régions passées a la Réforme ont vu disparaitre les processions, les pèlerinages, les messes votives, les fêtes patronales, les gestes d’une piété souvent très empreinte de superstition (par exemple les signes de croix), les mitres, les chasubles, les surplis, les croix et médaillons bénis que l’on portait sur soi au même titre que des amulettes, d’innombrables us et coutumes liés à une conception de la foi chrétienne qui, aux yeux des réformateurs, était en contradiction flagrante avec l’enseignement évangélique. Pour le protestantisme, en effet, la foi ne consiste pas à accomplir des gestes tenus pour plus religieux que d’autres, ni a sen remettre a l’autorité de personnages auxquels leur vêture semble conférer quelque aura supplémentaire de sacré, mais a consacrer son coeur, son intelligence, sa vie entière a Dieu et au service du prochain, cela d’abord dans l’existence la plus quotidienne.

 

L’un des actes les plus marquants de la Réforme a été a cet égard la manière dont Zwingli a organisé la célébration de la première cène réformée au Grossmiinster de Zurich, leJeudi Saint 13 avril 1525. Il avait fait remplacer l’autel par une simple table de bois, comme a la maison. Lui-même officia en costume civil, face a l’’assemblée, et non plus tourné vers l’autel comme le voulait la liturgie traditionnelle de l’époque. Sur la table se trouvaient non plus les coupes et plats d’argent, d’or ou de vermeil de la somptueuse vaisselle liturgique en usage pour la célébration de la messe, mais un gobelet et un plat de bois, c’est-a-dire le même type de vaisselle que l’on rencontrait jusque dans les plus humbles demeures.

 

II eût été difficile de concrétiser plus visiblement, voire plus tactilement, le fait que la vie sainte voulue de Dieu n’était désormais plus celle qui se déroulait dans les couvents et les cloitres, a l’écart du monde, mais celle des pères et mères prenant soin de leur famille et s’efforçant de la nourrir, tant matériellement que spirituellement. C’est d’ailleurs aussi la raison pour laquelle, dans la plupart des Eglises réformées on abandonna très tôt, pour la communion, l’usage des oublies (hosties non consacrées par un prêtre) pour les remplacer par du pain — le même que celui de la table familiale.

 

Ces modifications, j’en conviens, ne relèvent pas des beaux-arts mais plutôt de la mise en scène, tant il est vrai que toute liturgie présente de nombreuses analogies avec le théâtre. La Réforme a fait comprendre une partie importante de ses enjeux en proposant une nouvelle mise en scène du culte chrétien, une nouvelle gestion de la piété chrétienne et de ses formes les plus usuelles. Elle n’a donc pas négligé du tout la portée de ce qui se voit. Cette précision est importante dans la perspective du sort que la Réforme a réservé aux images et aux arts visuels en général.

 

Une prédication à télécharger et à lire ici

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Psaume Chapitre 40 , Versets 2 à 4
Matthieu, Chapitre 11 , Versets 16 à 4
Apocalypse , Chapitre 5 , Versets 6 à 4

Nouveau : le mot apparaît dans la Bible tout autant que dans la presse ou la publicité qui nous entoure. Mais dans les écrits bibliques, c’est avec parcimonie, tandis qu’autour de nous, tout semble devoir être nouveau, toujours nouveau, même quand la nouveauté en question est toute relative : lessives, shampoings, boissons, habits, nouveau par-ci, nouveau par-là, mais d’une nouveauté vite éventée, vite dépassée, vite usée. Les publicitaires ne craignent d’ailleurs pas le paradoxe ; j’ai vu un jour une réclame ainsi libellée : « Nouveau, moutarde à l’ancienne » !

La nouveauté dont il est question dans la Bible est d’un tout autre ordre. Elle ne relève pas des contraintes propres à notre société de consommation, elle est de l’ordre des expériences spirituelles. Elle touche à des réalités très profondes de nos vies, elle concerne le sens même de notre existence tant individuelle que collective.
Parmi les nouveautés de notre temps, il en est une, superficielle il est vrai, qui met directement en question ce que dit notre psaume : le goût et l’habitude de chanter ont presque disparu de notre horizon. Jadis, on chantait pour tout et pour rien. Dans mon enfance et ma jeunesse, quand on passait à côté d’un chantier ou d’un atelier, on entendait les ouvriers chanter pour s’accompagner dans leur travail. Aujourd’hui, ils font marcher leur appareil de radio le plus fort possible, comme s’ils avaient besoin d’un accompagnement musical aussi assourdissant que continu. Dans la banlieue où j’habite, il y a toutefois un marchand de fleurs qui, entre deux clients, n’arrête pas de chanter. Les gens en sont souvent surpris. C’est tout juste s’ils n’ont pas le sentiment d’un début d’incongruité…

Résultat : le culte, la messe, sont quasiment les derniers endroits où l’on chante encore en public, dans un acte communautaire, sans que ce soit comme on le fait dans une chorale spécialisée ou lors de leçons de chant. Pourquoi lors du culte ? Depuis des temps immémoriaux, la religion a toujours eu partie liée avec la musique, en particulier avec le chant. Et l’un des premiers soucis de la Réforme a été de donner aux fidèles, à tous les fidèles, l’occasion de chanter pendant le culte. Car chanter, c’est bien davantage qu’écouter ; c’est s’associer au déroulement du culte et aux prières qui le ponctuent avec son souffle, ses poumons, sa voix, les rythmes de son corps. Pour y parvenir, la Réforme a innové en créant une forme musicale nouvelle : les hymnes ou cantiques chez les luthériens, les psaumes chez les réformés. A Genève, à Lausanne, en France, on a mis en vers français les 150 psaumes, et l’on a composé des mélodies nombreuses (dans les anciens psautiers, il y en avait 125) pour les chanter selon une technique qui devait précisément permettre à chacun de s’associer à ce chant : chant à l’unisson, avec une syllabe par note. Plus tard, dès la fin du XVIe siècle, on a diversifié l’offre en composant des harmonies à quatre parties ou voix, de telle sorte que chacun puisse chanter dans sa tessiture.

Les psaumes offrent une diversité d’attitudes spirituelles et de prières correspondant à la diversité de ce qu’hommes et femmes, de tous âges, vivent et doivent avoir la possibilité d’exprimer devant Dieu : joie, reconnaissance, révolte, désespoir, craintes, espérances – tout le registre des sentiments humains.
Ces psaumes, nous en chantons encore et toujours aujourd’hui au cours du culte. Ils ne constituent évidemment pas un répertoire très nouveau, et bien des gens se demandent si nous ne devrions pas renouveler davantage notre répertoire, tant du point de vue des paroles que de la musique. Le fait que nos cultes fassent peu, fort peu de place à des productions musicales et poétiques nouvelles ne manque d’ailleurs pas d’être inquiétant. Toutes les périodes de grand renouveau religieux ont été marquées par l’apparition de formes musicales nouvelles pour exprimer la foi et l’espérance des chrétiens. Ce fut le cas de la réforme grégorienne, au moyen âge ; de la Réforme au XVIe siècle ; du Réveil au XIXe siècle. Je note simplement que ce ne semble pas, pas encore, être le cas aujourd’hui.

Mais la nouveauté dont parle le psaume quand il utilise l’expression  » chant nouveau  » est d’un tout autre ordre. La nouveauté, en l’occurrence, ne tient pas à la forme esthétique ou musicale du chant en question, mais au fait que ce chant-là met du neuf dans notre vie, dans nos pensées, dans nos affections. Il est nouveau quand il renouvelle nos existences, quand il leur confère un nouvel élan, un nouveau souffle, une orientation qui les arrache aux ornières dans lesquelles elles s’embourbaient.

Le chant en question peut alors bel et bien être fait d’un chant que l’on chante. Mais ce peut tout aussi bien être une phrase entendue, un verset lu dans la Bible, une réflexion qui s’en inspire et qui vient, là, travailler au fond de nous-mêmes ou au cœur de nos relations les uns avec les autres ou avec le monde qui nous entoure. Des vérités qui sont comme des mélodies venant imprimer leur tonalité et leur rythme à ce que nous sommes. Des paroles, des  » musiques  » de cet ordre, nous en trouvons certainement quand nous pensons à tout ce que nous avons déjà vécu. Ce peut être le souvenir toujours vivant d’une sorte de trait de lumière qui, nous frappant, a changé beaucoup de choses en nous et autour de nous. Je connais des gens qui peuvent ainsi dire que tel jour, à telle heure, en tel lieu, dans telles circonstances, un événement spirituel décisif a eu lieu dans leur vie. D’autres ont des souvenirs plus indécis, plus difficiles à préciser. Ou bien ils ne se souviennent même pas de circonstances mémorables ; mais ils savent bien que des paroles, des récits, une parabole ont travaillé en eux et continuent à faire leur chemin dans les tréfonds de leur être. Peut-être une parole de ce genre vous frappera-t-elle aujourd’hui ou demain ou bien plus tard. Ce n’est pas à moi d’en décider. C’est affaire entre Dieu et chacun d’entre nous.

Je tiens en revanche pour certain que nous devons toujours être prêts à entendre, à recevoir de telles paroles, de tels traits de lumière. Je fais évidemment allusion au premier chef à des paroles que nous pouvons lire dans la Bible. Il y en a aussi d’autres. Des paroles bien connues, trop connues, usées à force d’être dites et redites ? Un violoncelliste avouait un jour à la radio qu’il ne se lassait pas de jouer et rejouer les pièces pour violoncelle seul de J.-S. Bach : à chaque fois c’est un même émerveillement, la découverte de quelque chose de nouveau. Il en est de même des paroles qui, portées par le souffle divin, nous font vivre ou nous apprennent à vivre. Alors, n’hésitons pas : chaque fois que c’est possible, écoutons à neuf.
Mais le psaume ne parle pas d’écoute seulement : le chant nouveau que Dieu a mis dans la vie du psalmiste, il l’a mis  » dans sa bouche « . Alors, chantons aussi à neuf. Je le dis sur le mode de la comparaison. Certains d’entre nous ne sont pas ou plus en mesure de chanter ; peut-être n’ont-ils jamais eu le goût de la musique. Peu importe, l’image est là : en matière de christianisme, il ne suffit pas d’écouter, il faut aussi  » chanter « , faire de sa vie une sorte de mélodie de Dieu dans le monde.

J’ai dit plus haut que, au bout de plusieurs décennies de chant à l’unisson, les réformés se sont mis à chanter à plusieurs voix, d’abord à leur domicile, ensuite au cours du culte, en complémentarité les uns des autres. L’une des grandes caractéristiques de la musique occidentale est d’avoir si bien su développer la musique à plusieurs voix, que ce soient celles des chanteurs ou celles des instruments, que nous aurions bien tort de n’en pas tirer la leçon. Contrepoint, variations de rythme, accords dissonants se résolvant dans de nouvelles consonances et se succédant les uns aux autres, chorals, fugues : tout un langage musical fait de combinaisons multiples, comme s’il s’agissait de démultiplier les mélodies, de leur donner la possibilité de déployer toutes leurs virtualités. Là encore l’image parle d’elle-même, mais n’en confinons pas l’application au cercle restreint des seuls chrétiens. La mélodie, la petite musique que l’Evangile représente veut être jouée et entendue dans toute la société et même dans le monde, dans le vaste monde, jusqu’à donner à toutes et à tous la possibilité de se joindre à cette chorale, à cette symphonie.

Mais nous voilà bien loin de compte ! Regardons autour de nous : ce n’est pas une symphonie mais d’innombrables cacophonies, dans les familles, au travail, dans les états, en économie, dans notre culture même. Comme dans la petite parabole relue tout à l’heure : l’Evangile joue de sa flûte, mais les enfants sur la place refusent d’entrer dans la danse qu’il leur propose.

Si nous en sommes accablés au point de baisser les bras, la vision de l’Apocalypse, également relue tout à l’heure, vient nous rappeler que nous ne sommes pas les seuls à chanter. Des milliers, des myriades d’anges le font déjà devant Dieu et nous précèdent pour nous entraîner dans leur chant, pour soutenir et accompagner le nôtre. Nous n’avons pas tellement l’habitude, dans le protestantisme, de faire allusion aux anges. Mais les protestants du moment de la Réforme n’avaient pas cette retenue. Dans l’Institution de la religion chrétienne de Jean Calvin, il y a des pages et des pages sur les anges. Et les anges sont parmi les seules images figuratives qui ont trouvé place dans l’architecture réformée. Comme pour nous dire : Allez-y, chantez, devant Dieu vous n’êtes pas seuls pour le faire !

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